Après la pensée magique, la Birmanie passe à la prévention pour lutter contre le virus

Bruno Philip

L’épidémie est tardivement prise au sérieux dans un pays au système de santé balbultiant

BANGKOK - correspondant régional

Mangez du citron et des graines d’huile de palme ! », conseillait en mars un célèbre moine birman. Un autre recommandait plutôt de forcer sur le poivre. Le directeur d’un hôpital de Rangoun, le docteur Win Thandar Phyu, confirmait un peu plus tard l’optimisme sanitaire des religieux en affirmant que le Myanmar, nom officiel de la Birmanie, avait « de la chance car c’est un pays bouddhiste où les moines prient pour nous ».

Il semble désormais que soit révolu le temps de la pensée magique : « Le virus va se répandre », a prévenu, vendredi 10 avril, la dirigeante Aung San Suu Kyi, l’ancienne dissidente et Prix Nobel de la paix qui cumule les fonctions de ministre des affaires étrangères et de « conseillère d’État », ce qui fait d’elle, de facto, la première ministre de Birmanie. « Il faut s’y préparer », a-t-elle ajouté.

Le nombre d’infections et de morts officiellement recensés – 28 cas d’infections et trois décès – a beau rester très inférieur aux autres pays d’Asie du Sud-Est, il est désormais plus que probable que les chiffres connus ne correspondent pas à la réalité. Sur une population de 53 millions d’habitants, seulement 103 personnes présentant des symptômes possibles d’infection dans les deux principales villes du pays, Rangoun et Mandalay, auraient été testées…

Les mesures imposées dès le milieu du mois de mars vers un objectif de « distanciation sociale » avaient été prises dans une atmosphère d’insouciance quasi générale. « Ces efforts ont été minés par un certain nombre de déclarations d’officiels et de professionnels du monde médical affirmant que la Birmanie était protégée de la menace du virus grâce un contexte social et géographique que l’on pourrait identifier à une croyance en un exceptionnalisme birman », analyse un article du Tea Circle, forum réunissant des spécialistes de la Birmanie.

L’« ennemi invisible »

Dans le contexte actuel d’exaltation du nationalisme au sein de l’ethnie principale des Bamars (68 % de la population), grande a été aussi la tentation de faire porter sur les autres la responsabilité d’un virus « étranger ». Le fait que la plupart des infections répertoriées en mars aient été importées par des visiteurs ou des Birmans arrivant d’outre-mer a renforcé chez certains le sentiment d’« invasion » par l’« ennemi invisible ».

Un courageux anonyme sur Facebook a ainsi réagi par le post suivant à l’encontre de compatriotes revenus de l’étranger : « Vous habitez dans un autre pays et vous en profitez un maximum puis vous retournez dans la mère patrie porteur d’infection. Je ne vous le pardonnerai jamais, ni dans cette vie, ni dans la prochaine ! »

Par la voix de Kyaw Zaw Moe, l’un des rédacteurs en chef du site The Irrawaddy, cet organe d’information indépendant qui fut la voix de la dissidence durant les dernières années d’une longue période de dictature – 1962-2011 –, continue de son côté d’exsuder un certain optimisme : « Parce que nous partageons avec la Chine 2 220 kilomètres de frontière commune, certains ont pu estimer que le virus avait pénétré chez nous. En réalité, ce n’a pas été le cas : parmi les cas d’infections recensés jusqu’à présent, quinze l’ont été de France, des Etats-Unis, d’Australie, de Singapour, de Suisse, de Corée du Sud et de Thaïlande. » « Notre pauvre pays peut donc encore se considérer comme chanceux », conclut l’article.

Une bombe à retardement menace pourtant une Birmanie au système de santé balbutiant : les conséquences du retour en mars d’une cinquantaine de milliers de travailleurs migrants, revenus précipitamment depuis la Thaïlande voisine au moment où cette dernière fermait ses frontières. « Il est impossible d’imaginer qu’aucune personne infectée ne fasse pas partie d’un tel nombre de gens qui sont revenus », a admis vendredi 10 avril Aung San Suu Kyi.

Les mesures prises ces derniers temps montrent clairement que les autorités, tant à l’échelon fédéral qu’au niveau des sept « États » et des sept « régions » formant la structure administrative de la Birmanie, ont décidé de prendre au sérieux l’épidémie.

À Rangoun, capitale économique, si aucun confinement n’a été imposé, les rues sont de plus en plus désertes et des habitants rapportent que les gens sortent de moins en moins de chez eux. Dans l’État Shan (six millions d’habitants), qui est frontalier de la Chine et de la Thaïlande, les transports publics de courte et de longue distance sont suspendus, nous indique un résident étranger à Taunggyi, la capitale régionale. Autour du lac Inlé, l’une des attractions touristiques principales, où la police a installé cinq barrages, on prend la température de tous les passants.

Même scénario au nord-ouest de Rangoun, sur la côte qui remonte vers l’Etat de l’Arakan, où des résidents nous signalent que les routes sont surveillées, les voyageurs contrôlés et les hôtels et restaurants fermés, tandis que certains villages ont été interdits aux étrangers. Une première en Birmanie : la grande « fête de l’eau » (Thingyan), qui devait se tenir du 13 au 16 avril, et marque un moment-clé de l’année birmane, a été annulée.



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